Comment conserver numériquement des documents cinématographiques qui témoignent du chapitre le plus sombre de l’histoire européenne récente ? La Shoah est un point de référence central de l’histoire européenne et un ” mythe fondateur négatif ” de l’intégration européenne. Dans la mesure où les technologies numériques et Internet ont profondément transformé nos conceptions de l’histoire et de la preuve visuelle, l’historicité de sa représentation devient un enjeu de recherche. Un consortium composé de 13 instituts de recherche et de conservation d’archives d’Autriche, d’Allemagne, d’Israël et de France, de musées, de sites commémoratifs et de développeurs informatiques, ainsi que de partenaires états-uniens, développera des modèles et des applications pour répondre à ce défi.
“Histoire visuelle de la Shoah : Repenser la conservation à l’ère numérique” est coordonné par l’Institut Ludwig Boltzmann pour l’histoire et de société (Vienne), en étroite collaboration avec le Musée autrichien du film (Vienne). Il explorera les potentiels et les limites des technologies numériques dans les domaines de la préservation, de l’analyse et de la diffusion des preuves historiques de la Shoah, en particulier des documents audiovisuels. Au sein de ce consortium, la partie française, portée par le Centre d’Études des Mondes Russe, Caucasien et Centre-Européen (CERCEC / EHESS-CNRS) est chargée de la partie la plus méconnue – et probablement la plus riche – de ce corpus : les images filmées par les opérateurs rattachés à l’Armée rouge (soviétiques et polonais), ainsi que les photographies ou films réalisés par des citoyens des pays d’Europe de l’Est durant l’occupation nazie et à son achèvement. Le programme VHH s’appuiera ainsi sur les travaux réalisés en 2013-2017 par l’équipe de l’ANR CINESOV, 1939-1949, ainsi que sur le programme Jeunes Chercheurs en cours sur les procès de criminels de guerre à l’Est (1943-1991).
Le projet se concentre en effet sur les documents filmiques produits par les forces alliées et relatifs à la découverte des camps de concentration, centres de mise à mort nazis et autres sites d’atrocités. Bien que ces films ne saisissent qu’un aspect de la Shoah, certaines de leurs images sont devenues emblématiques. En raison de la rareté des documents visuels et du contexte de la guerre froide, seules quelques images, souvent arrachées au contexte de leur fabrication, ont façonné l’imaginaire collectif de la Shoah. Le programme comprend dans un premier temps une collecte de ces images fixes et en mouvement actuellement dispersées dans des institutions d’archives aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Russie, en Ukraine, Biélorussie, Lettonie, Estonie, Lituanie, Pologne, etc. Il procèdera à leur numérisation, leur analyse croisée et leur indexation. Le référentiel numérique qui en résultera permettra aux chercheurs de relier, pour les besoins de l’analyse, les images cinématographiques entre elles ainsi que de les mettre au regard des photographies, des documents textuels et du corpus de témoignages. Dans un second temps, le réemploi des prises de vue dans des films réalisés ultérieurement sera exploré.
Le programme “Histoire visuelle de la Shoah” comprendra l’élaboration d’un logiciel spécifique et fera un usage novateur des technologies émergentes, notamment de numérisation avancée, d’analyse automatisée des images et des textes, d’annotation temporelle et géographique. L’un des objectifs du projet est d’établir de nouveaux environnements sémantiques à exploiter en histoire, dans les études cinématographiques et médiatiques, dans les études culturelles et informatiques. Sur la base de cette innovation technologique, de nouvelles stratégies de diffusion seront élaborées au profit de sites commémoratifs, de musées et d’établissements d’enseignement. Le projet est soutenu par plusieurs institutions de mémoire : le site commémoratif du camp de concentration de Dachau, le Mémorial de Mauthausen et le Mémorial de Bergen-Belsen.
“Histoire visuelle de l’Holocauste : Repenser la conservation à l’ère numérique” a reçu un financement de 5 millions d’euros dans le cadre du programme Horizon 2020 de l’Union européenne. Le projet a été classé premier dans un domaine concurrentiel de 37 propositions. Il a débuté en janvier 2019 et durera quatre ans.
Program
« Mémoire numérique. Vers un référentiel de recherche sur l’histoire visuelle de la Shoah » – Michael Loebenstein (Austrian Film Museum)
« Les caméras soviétiques face aux crimes nazis. Les défis d’un corpus unique sur la Shoah »
- Valérie Pozner (CNRS, Thalim & CERCEC) – « De nouvelles sources pour quelle histoire ? »
- Irina Tcherneva (CERCEC, EHESS & FMS) – « Micro-histoire des tournages »
- Vanessa Voisin (CERCEC, EHESS) – « Voix des témoins »